Euripide – CRÉATION 2026

Conception et mise en scène Louise Vignaud

D’après Euripide

Au départ, il y a une rencontre, qui offre la possibilité de voir plus loin, ou autrement. Cette fois, c’est avec Euripide. Le dernier des tragédiens grecs, celui par qui la tragédie pousse son chant du cygne. Car les héros n’y sont plus des héros. Malmenés, ils y sont interrogés dans leur humanité. Les dieux s’effacent au profit des hommes, qui se re-trouvent confrontés à leur responsabilité. Le regard se déporte. Il s’attache aussi aux victimes de la tragédie, notamment les femmes, les sœurs, les mères, et pose la question d’un monde violent, de guerres, de départs, de crimes, de deuils, qui leur est imposé.

Quatre pièces retiennent plus spécifiquement mon attention. Leurs titres ne sont pas des noms de héros ou d’héroïnes, mais ceux de chœurs de femmes. Ces femmes, ce sont les Troyennes, les captives, qui s’interrogent sur leur avenir après l’extermination de leur ville et de leurs familles. Ce sont les Phéniciennes, les étrangères, qui assistent avec sidération au déchirement d’Étéocle et Polynice qui, au nom de l’héritage, provoquent la ruine de la ville où elles ont trouvé refuge. Ce sont les Suppliantes, les mères endeuillées, qui viennent réclamer les corps de leurs fils morts à la guerre pour leur offrir une sépulture digne de ce nom. Il y a paradoxalement comme un air de déjà vu avec notre monde contemporain. L’hier nous semble familier.

Il y a enfin celles qu’on nomme avec effroi les Bacchantes, celles par qui le désordre arrive. Mais de quel désordre parle-t-on ? De quel point de vue ? À la fin de sa vie, le vieux poète philosophe revient sur l’origine de la tragédie avant de se retirer et se taire. Comme un avertissement : le refus de l’autre, de la possibilité d’une ouverture, l’éloge de la frontière ne peuvent conduire qu’au désordre et au drame. Tout est question de regard. Dionysos propose de voir autrement, encore faut-il ne pas en avoir peur, au risque de sombrer.

La rencontre littéraire se double d’une rencontre architecturale. En 2018, peu de temps avant de commencer les répétitions de Rebibbia, je marche à Catane sur les pas de Goliarda Sapienza. Catane, ville sombre aux milles lumières, aux milles histoires. Ville tragique : vivre intensément car un jour, l’Etna coulera. Une porte d’immeuble, terriblement banale. Un sésame si on la pousse, car derrière se cache un amphithéâtre romain. L’espace s’ouvre, respire au cœur de la ville. Sur ses ruines, des maisons se sont accolées, une église baroque aussi. D’un coup, le choc du temps et son vertige. Je ressens dans ce lieu chargé d’histoire, chargé de mythe, une clé : l’expression physique, architecturale, de l’humain sans cesse réinventé mais sans s’oublier.

Ce spectacle ne sera ni une mise en scène des pièces d’Euripide, ni l’histoire de l’amphithéâtre. Mais ils seront là, comme des socles. Présents et absents. Originels. Le monde dans lequel je vis se referme de plus en plus sur lui-même, et cela me terrifie. Je pensais que les murs étaient tombés, je découvre qu’on les chérit tant qu’on cherche toujours à en construire de plus grands. Des murs de pierre, de barbelés, des murs de peur. La tragédie ne nous a pas quitté. C’est elle que je veux continuer à interroger. Faire son récit d’aujourd’hui en dialoguant avec celle d’hier. Les temps se superposent et nous racontent.

Un spectacle tragique et épique, dans un grand souffle.
Un requiem pour une mer blessée.

Louise Vignaud

Avec Prune Beuchat, Rachida Brakni, Mohamed Brikat, Charlotte Fermand, Nine de Montal, Sven Narbonne, Mickael Pinelli, Thomas Rortais
Écriture et Mise en scène Louise Vignaud Scénographie Irène Vignaud Lumières Sarah Marcotte Son Orane Duclos Costumes Alex Costantino Assistanat à la mise en scène et à la dramaturgie Clàudia Bochaca Sabarich Régie générale Nicolas Hénault

Production Compagnie La Résolue & La Criée – Théâtre National de Marseille – Coproduction en cours